25 avril 1974 au Portugal : la révolution des Œillets24/04/20242024Journal/medias/journalnumero/images/2024/04/une_2908-c.jpg.445x577_q85_box-0%2C7%2C1262%2C1644_crop_detail.jpg

il y a 50 ans

25 avril 1974 au Portugal : la révolution des Œillets

À l’aube du 25 avril 1974, un coup d’État militaire mettait fin à la dictature salazariste en place depuis un demi-siècle au Portugal. La population de Lisbonne occupait les rues, attaquait la police politique, ouvrait les prisons, tandis que les soldats mettaient des œillets rouges dans le canon de leurs fusils.

Ce qui avait débuté comme un putsch se transformait en soulèvement populaire.

La dictature cléricale et policière construite à partir de 1928 par Salazar, auquel Caetano avait succédé en 1968, contribuait à maintenir le pays dans un état de sous-développement archaïque. Au sud, la grande propriété latifundiaire régnait sur des journaliers misérables. Au centre et au nord, les petits paysans propriétaires vivotaient en quasi-autarcie. La surpopulation rurale alimentait l’émigration, surtout vers la France, où vivaient 800 000 Portugais.

La survie du régime était liée au maintien des colonies africaines, vingt fois plus grandes que la métropole, qui fournissaient des matières premières agricoles et minières, mais qui étaient aussi secouées par des mouvements de guérilla luttant pour l’indépendance, en Angola depuis 1962, en Guinée depuis 1963, au Mozambique depuis 1964. Ces guerres coloniales coûtaient cher en argent et en hommes, le service militaire durant quatre ans et incitant les jeunes hommes à émigrer.

Des officiers contre la dictature

Les officiers inférieurs, lieutenants et capitaines, issus de la jeunesse petite-bourgeoisie éduquée, constataient qu’une victoire militaire dans les colonies était impossible. En septembre 1973, le Mouvement des capitaines, qui allait devenir le Mouvement des forces armées (MFA) fut créé dans le but affiché de mettre fin aux guerres coloniales et de moderniser le pays. Le général Spinola lui-même, homme de droite et ancien commandant en chef en Guinée, publia en février 1974 un livre préconisant l’autonomie des colonies.

Après le 25 avril, le salazarisme étant balayé et le cessez-le feu instauré dans les colonies, quel régime allait-on mettre en place ? Aucune transition n’avait été préparée au sein de la dictature. Caetano avait cédé ses pouvoirs au général Spinola, « afin que le pouvoir ne tombe pas dans la rue ». Celui-ci forma un gouvernement qui comprenait les dirigeants du PS et du PC rentrés d’exil. Pour la première fois depuis 1947, dans un pays occidental, un parti communiste arrivait au gouvernement.

Le PC était le seul parti à jouir de quelque influence parmi les ouvriers et les paysans et à pouvoir contrôler le mouvement populaire. Le 25 Avril ayant libéré toutes les forces comprimées par la dictature, on assistait à une floraison de comités, à l’émergence d’organisations politiques et syndicales, à des grèves, des occupations de terres et de logements. Le Premier mai, un demi-million de personnes défilèrent dans Lisbonne, mais déjà le PC déclara que réclamer des augmentations de salaire était le fait des suppôts de la bourgeoisie. Sous la pression des travailleurs, le gouvernement dut pourtant nationaliser la plupart des grandes entreprises et proclamer une réforme agraire que les ouvriers agricoles avaient déjà réalisée dans les faits.

Alors que les grands bourgeois effrayés s’enfuyaient en Espagne, en France et jusqu’au Brésil, l’armée elle-même était touchée. Sous-officiers et soldats organisaient dans les casernes des assemblées générales et des comités, les SUV (Soldats unis vaincront). La discipline disparaissait au profit de la discussion et des décisions démocratiques, un problème pour l’état-major et au-delà pour la bourgeoisie.

PS et PC, deux options politiques pour la bourgeoisie

Spinola, qui tentait de s’appuyer sur une « majorité silencieuse » pour ramener l’ordre, démissionna, puis le 11 mars 1975 tenta un coup de force contre les casernes les plus actives, se heurta à la résistance de la troupe et dut s’enfuir. Après le départ de Spinola, les partis politiques auxquels la population faisait confiance, le PS et le PC, étaient mis face à leurs responsabilités. Il n’était question ni pour l’un ni pour l’autre de bouleverser l’ordre social, mais bien de restaurer un pouvoir politique stable pour la bourgeoisie. Pour cela, le PS prônait la voie parlementaire pour aller vers la modernisation économique. Il fut le grand vainqueur des élections à l’Assemblée constituante d’avril 1975. Un autre courant, présent notamment parmi les militaires du MFA, envisageait de moderniser le pays par des mesures radicales, s’inspirant de celles adoptées par des dirigeants nationalistes du tiers-monde comme Nasser ou d’autres. Le PC, désavantagé dans les élections, joua cette carte et s’aligna sur les militaires radicaux dans le MFA, mettant en avant « l’alliance peuple-MFA », dont le mot d’ordre reprenait celui de l’Unité populaire chilienne : « Le peuple uni ne sera jamais vaincu. »

À l’extrême gauche, des groupes maoïstes, trotskystes, anarchistes ou populistes disposaient en bien des endroits de militants influents. Cependant ils s’alignèrent sur l’une ou l’autre de ces deux politiques bourgeoises. Ainsi la classe ouvrière était invitée à soutenir l’un des deux champions et non à mener une politique indépendante.

Le MFA de son côté n’avait pas de politique propre, car en son sein toutes les tendances étaient représentées et en fait il était paralysé alors qu’une contre-offensive était en cours à droite.

La reprise en main

Dans le Nord, l’Église et la droite menaient une violente campagne anticommuniste. Les locaux du PC étaient attaqués. Le PS de son côté utilisa des affaires comme celles de l’occupation du quotidien Republica ou de la radio catholique Renascença pour s’ériger en défenseur de la propriété privée et contre le pouvoir populaire. Des officiers de droite sélectionnaient des troupes sûres, dans un contexte de marasme économique et d’inflation.

En novembre 1975, le gouvernement affronta une série de grèves. Les ouvriers du bâtiment obtinrent 40 % d’augmentation de salaire après avoir assiégé deux jours durant l’Assemblée et le gouvernement. Une série de provocations de l’état-major déclencha la rébellion de la caserne de parachutistes à Tancos, à plus de cent kilomètres de Lisbonne, « au service du peuple et de la révolution socialiste ». Le président Costa Gomes s’assura alors la complicité du PC et du plus connu des officiers radicaux, Otelo de Carvalho, pour reprendre Tancos le 25 novembre.

L’état de siège et un couvre-feu furent décrétés, les médias contrôlés, les militaires marqués à gauche démis ou arrêtés, les unités les plus politisées dissoutes. Le balancier de l’histoire repartait vers la droite et, au fil des années, les avantages arrachés par les ouvriers et les paysans, syndicats, coopératives, lois sociales, nationalisations, réforme agraire, furent repris par la bourgeoisie. Le PS et une droite rénovée allaient alterner au gouvernement et à la présidence, tandis que le PC, tout en s’affirmant l’adversaire du capitalisme, orientait toute mobilisation vers une voie parlementaire. L’issue que la révolution des Œillets avait semblé ouvrir vers un bouleversement social se refermait, les organisations se réclamant de la classe ouvrière ayant tout fait pour cela.

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